des displays - franck leibovici
des displays
dès qu’ils travaillent avec des documents pré-existants (images fixes ou mobiles, textes ou sons), poètes et artistes, commissaires et scénographes, graphistes et architectes d’exposition, trouvent toujours sur leur chemin la question du display. car une œuvre d’art se définit à travers ses conditions de monstration, à travers ses modalités de publicisation : une œuvre n’est jamais perçue sans point de vue ou hors de tout point de vue. no artwork but through sites… ainsi même du « white cube » : une salle blanche, un espace vide, un socle, des espaces de séparation, un éclairage à 40 lux. en réalité, la même question se retrouve dans bien d’autres disciplines, puisque les scientifiques eux aussi doivent inventer des techniques de traitement des images, ou les policiers, les médecins, etc.
à la fin des années 90, le poète christophe hanna avait publié un poster intitulé « nos organes sont nos théories ». la formule pourrait s’appliquer ici : « nos displays sont nos théories », car chaque display encapsule un modèle théorique. dès qu’on y regarde de plus près, les displays contredisent la conception moderniste d’une œuvre d’art autonome, à laquelle seraient adjoints des documents informatifs. car chaque display porte en lui la question des médiations. et si un document n’est effectivement pas uniquement un support pour de l’information, mais qu’il est un script, une partition renfermant des acteurs et des actions à activer, à performer, alors il faut nécessairement modifier notre façon de concevoir ce qu’est une exposition, et de là, modifier ses paramètres et ses formats.
« performer des documents » implique de se placer immédiatement dans un rapport à l’action, dans un rapport à l’exercice, à l’entraînement répété, et une exposition n’est alors plus ni un lieu de célébration d’artefacts stabilisés ni un lieu où des documents sont exposés sous vitrine (selon la formule attendue que prennent de nombreuses expositions documentaires, d’archives). l’exposition devient, au contraire, un lieu où l’on s’entraîne à activer les nouvelles écologies obtenues par la composition des œuvres et des documents assemblés. on pourrait appeler ces expositions des expositions-training, dans lesquels les displays tiennent lieu de bancs de musculation ou de tapis de yoga. cela implique aussi que ces displays puissent prendre différentes formes, y compris celle d’un livre, ou d’un manuel.
la conception développée ici vise à « désobjectifier » les œuvres, ou plutôt à renouveler ce qu’on entend par « objet » en recomposant ce dernier avec des éléments que l’on considérait comme lui étant extérieur, en rendant à nouveau visibles des relations qui sont pourtant indispensables à son fonctionnement mais qui ont été comme expulsées du socle de la sculpture pour faire croire que la sculpture parlait d’elle-même.
un display n’est finalement qu’une façon de performer les médiations et les relations contenues dans une œuvre d’art, une façon d’actualiser les potentialités de cette dernière. en cela, le display est une extension de l’œuvre exposée et cette extension charrie également toujours une population nécessaire à sa production et à sa maintenance, ie, un collectif.
franck leibovici
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