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  • Pan Yuliang : un voyage vers le silence

    20 mai au 24 juin 2017

    Vernissage le 20 mai 2017de 16h à 21h

    Mia Yu, An Atlas of Archive, 2017. Courtesy Mia Yu.

    Pan Yuliang : un voyage vers le silence

    Avec Hu Yun, Huang Jing Yuan, Pan Yuliang, Marc Vaux, Wang Zhibo, Mia Yu
    Commissaire de l’expo­si­tion : Nikita Yingqian Cai

    Lorsque nous avons com­mencé à enquê­ter sur Pan Yuliang et sur sa vie comme on embar­que pour un voyage, la mis­sion qui nous était assi­gnée, parler en son nom, se révéla impos­si­ble.

    La plus grande col­lec­tion d’œuvres de Pan Yuliang est conser­vée par le Musée pro­vin­cial de l’Anhui qui est actuel­le­ment en tra­vaux, ce qui rend invi­si­ble l’accro­chage per­ma­nent d’une sélec­tion de ces œuvres. Arrivés au musée, Pan à l’éventail (1939) de Pan Yuliang nous a été amené dans une brouette, direc­te­ment depuis les réser­ves. La porte de l’ascen­seur s’est refer­mée der­rière nous avec un bruit de vieille machi­ne­rie tandis que le por­trait entrait silen­cieu­se­ment dans la pièce : Pan Yuliang por­tant la qipao sombre deve­nue sa signa­ture, les lèvres closes et les coins de la bouche tom­bants, nous regar­dait sans révé­ler grand-chose de son état d’esprit.

    « J’arrive devant la porte verte, je suis intri­guée. Je l’ouvre et devi­nez quoi ? Il y a une fête, une pièce pleine de gens, de conver­sa­tions, de connexions qui, d’une cer­taine manière, n’ont pas réussi à se frayer un chemin jusqu’à l’his­toire domi­nante [1]. » En racontant la fas­ci­na­tion qu’elle éprouve pour un des por­traits des années 1930 de Pan Yuliang, où la modèle res­sem­ble de façon sai­sis­sante à Joséphine Baker, l’icône noire la plus célè­bre de l’ère du jazz à Paris dans les années 1920-1930, l’écrivaine lon­do­nienne Sophie Hardach posa la même ques­tion que nous : « Qui est cette femme ? »

    La plu­part des arti­cles uni­ver­si­tai­res écrits sur Pan Yuliang com­men­cent par quel­ques para­gra­phes qui résu­ment sa vie afin de contex­tua­li­ser le sujet de la recher­che. Il est inté­res­sant citer un long pas­sage d’une des nom­breu­ses voix qui ayant essayé de parler en son nom.

    Pan est née le 14 juin 1895 à Yangzhou dans la pro­vince du Jiangsu sous le nom de Chen Xiuqing, et a été rebap­ti­sée Zhang Yuliang lorsqu’elle fut adop­tée par son oncle après le décès pré­ma­turé de ses parents. Son tuteur la vendit à un bordel de la ville de Wuhu dans la pro­vince de l’Anhui alors qu’elle était âgée d’une dizaine d’années. Pan Zanhua (潘赞化 1885 – 1959), un repré­sen­tant des doua­nes qui com­pa­tis­sait avec la situa­tion déses­pé­rée de Yuliang, la sauva du bordel. [...] Sous la direc­tion auda­cieuse de son fon­da­teur Liu Haisu (刘海粟 1896 – 1994), l’Académie des beaux-arts de Shanghai accueillit en 1918 son pre­mier contin­gent d’étudiantes, dont fai­sait partie Pan. L’idée de co-éducation promut par l’école était une réponse aux réfor­mes éducatives de Cai Yuanpei ( 蔡元培 1868 – 1940), fraî­che­ment nommé Ministre de l’éducation en République de Chine. [...]

    Grâce à ses excel­lents résul­tats à l’Académie, Pan devint la pre­mière femme artiste de la République de Chine à obte­nir une bourse d’étude offi­cielle pour étudier en France. [...] En 1922, Pan étudia à l’École natio­nale supé­rieure des beaux-arts sous la tutelle des artis­tes fran­çais Lucien Simon (1861-1945) et Pascal Dagnan-Bouveret (1852-1929). [...] Une fois diplô­mée des Beaux-Arts en 1925, elle reçut la pres­ti­gieuse bourse de Rome pour étudier à l’Accademia di belle Arti. En 1928, l’année où elle revint en Chine, Pan orga­nisa sa pre­mière expo­si­tion per­son­nelle à Shanghai inti­tu­lée La Première artiste femme occi­den­tale de Chine. En 1931, Pan décida d’accep­ter l’invi­ta­tion de l’artiste Xu Beihong (徐悲鸿 1895 – 1953) à ensei­gner à plein temps dans le dépar­te­ment d’art de l’Université natio­nale cen­trale de Nankin. Yu Feng (郁风 1916 – 2003), une artiste majeure, élève de Pan dans les années 1930, la défend : « Pan est une artiste qui a beau­coup innové et, à ce titre, elle n’a rien à envier à ses condis­ci­ples mas­cu­lins, dont Xu Beihong et Liu Haisu. » [...]

    Après son départ pour Paris en 1937, Pan par­ti­cipa à de nom­breu­ses expo­si­tions de groupe et per­son­nel­les dans dif­fé­rents pays, notam­ment en France, en Angleterre, en Belgique, aux États-Unis. [...] Aussi étrange que cela puisse paraî­tre, alors que la com­mu­nauté artis­ti­que fran­çaise la tenait en haute estime, ce sont ses quel­ques sculp­tu­res plutôt que ses tableaux qui cons­ti­tuent la majeure partie des œuvres conser­vées aujourd’hui en France. [...] Son Buste de Zhang Daqian (1957), appar­te­nant au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, com­mé­more, d’une cer­taine manière, le tra­vail du musée car en 1956 Zhang (张大千), pro­fes­seur et vieil ami de Pan, qui était l’objet d’une expo­si­tion per­son­nelle au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris [2].

    On ne peut s’empê­cher de remar­quer que malgré la pro­li­fé­ra­tion des bour­ses d’études sur Pan Yuliang ces dix der­niè­res années, les récits his­to­ri­ques sur son œuvre et sur sa vie sont enva­his par les noms de ses condis­ci­ples mas­cu­lins. La seule voix fémi­nine, celle de son élève, Yu Feng, se dis­tin­gue par son ton défen­sif. Tout se passe comme s’il était impos­si­ble de car­to­gra­phier le monde de Pan Yuliang sans cette cons­tel­la­tion de figu­res mas­cu­li­nes. L’envi­ron­ne­ment social au sein duquel s’est déve­lop­pée la car­rière nais­sante de Pan Yuliang en tant qu’artiste moderne et ensei­gnante en art durant la période répu­bli­caine, entre en écho avec les mou­ve­ments socio-poli­ti­ques plus larges de cette époque : depuis la cons­truc­tion cultu­relle de la « nou­velle femme » et le mou­ve­ment de la nou­velle culture, jusqu’à la révo­lu­tion et la réforme lan­cées par le parti natio­na­liste et les pre­miers com­mu­nis­tes, et la montée du natio­na­lisme moderne en Chine ; de la fin de la Première Guerre Mondiale jusqu’à l’inva­sion japo­naise de 1937. Alors que de nom­breux de ses pairs et connais­san­ces mas­cu­li­nes prô­naient en public leurs idées socia­les, poli­ti­ques et cultu­rel­les et gagnè­rent leur place dans l’his­toire domi­nante, les com­men­tai­res de Pan Yuliang sur les déci­sions majeu­res ayant affecté sa vie et son ins­pi­ra­tion artis­ti­que sont introu­va­bles. Le voyage qui la rédui­sit au silence s’est pro­longé après son retour à Paris en 1937, et « Pan Yuliang n’a laissé aucun com­men­taire écrit quant au concept de son expo­si­tion [3] » inti­tu­lée Quatre artis­tes chi­noi­ses contem­po­rai­nes, mon­trée du 26 mars au 30 avril 1977 au Musée Cernuschi à Paris. Quelques mois plus tard, Pan Yuliang mourut à Paris lais­sant der­rière elle des mil­liers d’œuvres qui furent alors trans­por­tées et tem­po­rai­re­ment sto­ckées dans la cave de l’ambas­sade chi­noise à Paris jusqu’à ce qu’elles soient ren­voyées en Chine en 1984. Depuis lors, l’auto­por­trait Pan à l’éventail (1939) rési­dait à l’Anhui Provincial Museum jusqu’à ce qu’il réap­pa­raisse devant nos yeux en 2017.

    Outre les recher­ches uni­ver­si­tai­res adop­tant les pers­pec­ti­ves de l’his­toire de l’art, des études de genre et des études cultu­rel­les trans­na­tio­na­les, une « fièvre Pan Yuliang » s’est également pro­pa­gée dans la pop culture et les médias grand public depuis les années 1990. Selon la cri­ti­que du roman de Jennifer Cody Epstein, The Painter from Shanghai, parue dans le New York Times le 23 mars 2008, Pan Yuliang était « une enfant vic­time de la pros­ti­tu­tion deve­nue une pein­tre renom­mée » qui avait été « vendue comme esclave sexuel à l’âge de 14 ans par son oncle accro à l’opium [4] ». En lisant le roman d’Epstein le rédac­teur en chef et co-créa­teur d’Hyperallergic, Hrag Vartanian, se pas­sionna pour le per­son­nage de Pan Yuliang au point de publier un billet sur son blog le 30 avril 2008, « De la pros­ti­tuée à la post-impres­sion­niste : l’ambas­sa­drice de l’art moderne en Chine [5] », où il exprime sa curio­sité pour cette vie légen­daire. Le China Daily avait employé un lan­gage simi­laire dès 2002 pour décrire son ascen­sion artis­ti­que : « Des lumiè­res rouges à la fureur de vivre [6] ». Plus les arti­cles et cri­ti­ques repré­sen­taient Pan Yuliang comme la Cendrillon orien­tale, plus nous nous éloignions de ce qu’elle s’était effor­cée de créer et de ses luttes. Nous nous retrou­vions à nou­veau enfer­més dans « une fête, une pièce rem­plie de gens, de conver­sa­tions, de connexions », selon la méta­phore de Sophie Hardach. D’un côté nous béné­fi­ciâ­mes d’un accès limité à quel­ques-unes de ses œuvres parmi les 4749 pièces que compte la col­lec­tion du Musée pro­vin­cial de l’Anhui – le musée d’État ayant mis­sion d’orga­ni­ser des expo­si­tions iti­né­ran­tes de leur col­lec­tion de Pan Yuliang cir­cu­lant uni­que­ment dans le cadre du sys­tème étatique – de l’autre, les résul­tats de recher­che inter­net sur Pan Yuliang s’avè­rent iné­pui­sa­bles, régur­gi­tant la même chro­no­lo­gie sans pro­po­ser un nou­veau point de vue sur sa vie et son apport artis­ti­que. Le por­trait de Pan Yuliang sem­blait se détour­ner de notre regard, dis­pa­raî­tre tandis que les portes de l’ascen­seur se refer­maient et s’être retiré dans cette vie qui nous hante. Après avoir ren­contré Dong Song, le direc­teur des expo­si­tions du Musée pro­vin­cial de l’Anhui – dont le père avait par­ti­cipé au clas­se­ment des œuvres de Pan Yuliang lorsqu’elles furent envoyé de France en 1984 – et l’auteur de la Chronologie artis­ti­que de Pan Yuliang publiée en octo­bre 2013, nos dis­cus­sions sur les qua­rante der­niè­res années de Pan Yuliang à Paris et l’absence de décla­ra­tion artis­ti­que de sa part firent l’objet d’un cer­tain consen­sus. Nous étions tous d’accord sur le fait que la classe popu­laire dont était issue Pan Yuliang et son manque d’éducation dans les pre­miè­res années de sa vie ne lui avaient pas permis d’acqué­rir les com­pé­ten­ces néces­sai­res pour écrire sur ses pro­pres idées et sa pra­ti­que artis­ti­que. Elle consa­cra les qua­rante der­niè­res années de sa vie à pein­dre res­tant rela­ti­ve­ment isolée et nos­tal­gi­que. Elle aurait pu retour­ner en Chine après la Seconde Guerre Mondiale mais quel­que chose l’en empê­cha, sans doute, pen­sions‑­nous, le fait qu’elle était le prin­ci­pal sou­tien finan­cier de Pan Zanhua et de sa famille pen­dant la grande famine et la révo­lu­tion cultu­relle. Sa cor­res­pon­dance privée avec sa famille forme la majeure partie de ses écrits, elle traite de sujets comme la santé, l’argent, les enfants et ses pre­miè­res ren­contres avec Pan Zanhua. Contrairement à Xu Beihong, Liu Haisu ou Zao Wou-Ki issu d’un milieu aisé et qui « aimait citer des expres­sions direc­te­ment en fran­çais, par­fois sans tra­duc­tion, dans ses textes cri­ti­ques et même dans les ins­crip­tions ornant ses des­sins [7] », Pan Yuliang, orphe­line, femme et Chinoise, affronta une situa­tion de double alté­rité qui la rédui­sit dou­ble­ment au silence. Rien ne décrit mieux cette idée que la phrase de Pierre Macherey citée par Gayatri Spivak dans son célè­bre essai Les subal­ter­nes peu­vent-elles parler ?

    Ce qui est impor­tant dans une œuvre c’est ce qu’elle ne dit pas. Ce n’est pas la nota­tion rapide : ce qu’elle refuse de dire ; ce qui serait déjà inté­res­sant : et là-dessus on pour­rait bâtir une méthode, avec, pour tra­vail, de mesu­rer des silen­ces, avoués ou non. Mais plutôt, ce qui est impor­tant, c’est ce qu’elle ne peut pas dire, parce que là se joue l’élaboration d’une parole, dans une sorte de marche au silence [8].

    En 1975, Vadime Elisséeff, selon le sou­hait de feu René Grousset (1885-1952), direc­teur du Musée Cernuschi de 1932 à 1952, pro­posa à Pan Yuliang une expo­si­tion per­son­nelle. Au lieu de sélec­tion­ner uni­que­ment ses œuvres, Pan Yuliang élargit l’invi­ta­tion à trois autres femmes artis­tes qui tra­vaillaient autour des formes de l’art tra­di­tion­nel et qui fai­saient toutes partie de la dia­spora chi­noise, comme le cons­tate Fournier dans son mémoire. Si l’on consi­dère l’his­toire glo­bale de l’expo­si­tion, Quatre artis­tes chi­noi­ses contem­po­rai­nes mon­trée au Musée Cernuschi à Paris en 1977 a été l’une des pre­miè­res expo­si­tions où figu­raient uni­que­ment femmes artis­tes. Quarante ans plus tard, Mélanie Bouteloup et la Villa Vassilieff m’ont invi­tée, en tant que conser­va­trice du Guangdong Times Museum, à pré­sen­ter un projet de recher­che sur les artis­tes chi­nois pré­sents dans le fonds Marc Vaux où a été retrou­vées des pla­ques de verre de Pan Yuliang tra­vaillant dans son ate­lier. Inspirée par Pan Yuliang et par sa déci­sion d’ouvrir l’expo­si­tion de 1977 à d’autres artis­tes, j’ai invité les artis­tes Hu Yun, Huang Jing Yuan, Wang Zhibo et l’his­to­rienne de l’art Mia Yu à former un groupe de recher­che qui fonc­tionne comme un orga­nisme sub­jec­tif col­lec­tif. Abandonnant l’idée de repré­sen­ter Pan Yuliang en reven­di­quant de nou­veaux ter­ri­toi­res d’auto­rité ou l’illu­sion de répa­rer la manière dont les médias de masse l’ont dépeinte, nous dépla­çons nos pro­pres sub­jec­ti­vi­tés dans la cons­tel­la­tion de la vie passée de Pan Yuliang, dans son incar­na­tion à notre époque ainsi que dans la pré­sente expo­si­tion. Des arti­cles sur l’his­toire de l’art, des essais issus des études de genre et cultu­rel­les ; des arti­cles et cri­ti­ques du China Daily, du New York Times et des archi­ves de cou­pu­res de presse des années 1920 et 1930 ; des cata­lo­gues publiés par le Musée National de Chine et le Musée pro­vin­cial de l’Anhui ; des débats et inter­views avec des cher­cheurs et des uni­ver­si­tai­res spé­cia­lis­tes de Pan Yuliang et de la repré­sen­ta­tion de la femme dans la République de Chine ; des sites inter­net, des blogs et des expo­si­tions consa­crés à Pan Yuliang ; des romans, des séries télé­vi­sées, des docu­men­tai­res et des films sur Pan Yuliang et les femmes artis­tes ; les œuvres ori­gi­na­les, des repro­duc­tions impri­mées et des copies numé­ri­ques des œuvres de Pan Yuliang ; nos notes, nos conver­sa­tions et nos tra­jec­toi­res de recher­che sont autant d’éléments consi­dé­rés comme des sour­ces et maté­riaux d’égale valeur pour notre enquête et notre expo­si­tion. Spivak avait raison de sug­gé­rer que « le tra­vail archi­vis­ti­que, his­to­rio­gra­phi­que, de cri­ti­que des dis­ci­pli­nes for­cé­ment inter­ven­tion­niste impli­qué ici consiste bien à "mesu­rer des silen­ces [9]" » . À la fois objet de cons­truc­tion phal­lo­cen­tri­que et idéo­lo­gi­que, et sujet d’émancipation moderne, Pan Yuliang est néces­sai­re­ment consi­dé­rée comme l’Autre aussi bien dans son pays d’ori­gine qu’en Europe. Aussi, est-il pos­si­ble de se tour­ner vers une autre strate de récits qui ne conso­li­dent pas la posi­tion de Pan Yuliang comme Autre ? Pouvons-nous trou­ver l’alté­rité en nous-mêmes, en nous pro­je­tant dans les luttes de Pan Yuliang et, en outre, pou­vons-nous retra­cer le par­cours de Pan Yuliang en le mêlant au nôtre ?

    En tant qu’his­to­rienne de l’art cher­chant à mêler à ses recher­ches une expres­sion artis­ti­que, Mia Yu a créé un projet basé sur l’archive inti­tulé An Atlas of Archives (Un atlas d’archi­ves) (2017). Après s’être immer­gée dans les archi­ves et les écrits his­to­ri­ques por­tant sur Pan Yuliang, Mia Yu a entre­prit un voyage afin de retra­cer les tra­jec­toi­res de la vie de Pan Yuliang en Chine. En se situant phy­si­que­ment dans une série de sites his­to­ri­ques et en enga­geant des conver­sa­tions inten­ses avec les per­son­nes ren­contrées au cours de son voyage, Mia Yu n’a pas seu­le­ment réi­ma­giné le passé à tra­vers des expé­rien­ces per­son­nel­les mais elle s’est aussi cons­tam­ment située à l’inter­sec­tion entre l’his­toire et la réa­lité contem­po­raine. Pour l’expo­si­tion, elle pré­sente une archive aux stra­tes mul­ti­ples com­pre­nant des maté­riaux d’archive, des notes per­son­nel­les, des pho­to­gra­phies, des entrées de jour­nal et des enre­gis­tre­ments de conver­sa­tions pri­vées. Surgissant à tra­vers l’espace d’expo­si­tion, les essaims d’archi­ves s’entre­mê­lent avec les œuvres et invi­tent à d’autres inter­ven­tions d’artis­tes. La pein­tre Wang Zhibo, quant à elle, a été formée à l’Académie des Beaux-Arts de Chine de Hangzhou au réa­lisme aca­dé­mi­que dont les raci­nes remon­tent aux années 1920-1930, au moment où Pan Yuliang et ses condis­ci­ples mas­cu­lins posaient les bases du sys­tème éducatif de l’art moderne en Chine. Elle s’apprête à démé­na­ger son ate­lier à Berlin tout en tra­vaillant à l’expo­si­tion de la Villa Vassilieff à Paris. Wang est intri­guée par les pério­des pari­sien­nes de la vie, en appa­rence tra­di­tion­nelle, de Pan Yuliang et les auto­por­traits où elle se repré­sente comme une femme chi­noise. En pei­gnant de nou­veaux tableaux s’ins­pi­rant de Pan Yuliang et en ins­tal­lant un ate­lier de femme pein­tre à la Villa Vassilieff, elle crée avec Her (Elle) (2017) un détour entre Pan Yuliang et une Chinoise née pres­que un siècle plus tard. Dans l’ins­tal­la­tion et la vidéo inti­tu­lées Unkind Jade : Three Chinese Painters (Cruel jade : trois pein­tres chi­nois) (2017), Huang Jing Yuan inter­roge sa propre tra­jec­toire d’artiste visuelle et de femme à tra­vers des récits inti­mes de son père, dont le rêve de deve­nir artiste resta lettre morte à cause de la révo­lu­tion cultu­relle, qui per­siste à ne pas croire en la lutte que mènent les femmes pour l’auto­no­mie artis­ti­que. Les inter­fé­ren­ces d’images et de sons extraits de pro­gram­mes télé­vi­sés et de soap opera sont pré­sen­tées comme un témoi­gnage indi­rect de la vie quo­ti­dienne d’un Chinois ordi­naire éprouvant des dif­fi­cultés à parler au nom de sa sub­jec­ti­vité pré­caire. La décep­tion et la ten­sion dis­crète res­sen­ties au sein de la famille font écho aux obs­ta­cles omni­pré­sents que ren­contrent les femmes lorsqu’elles pour­sui­vent leur pas­sion artis­ti­que. Hu Yun, un jeune père né dans la conces­sion fran­çaise de Shanghai cin­quante ans après le second départ de Pan Yuliang, est invité lui à déve­lop­per sa recher­che artis­ti­que sur l’ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion et les idéaux de la moder­nité intro­duits par les mis­sion­nai­res euro­péens ou les intel­lec­tuels chi­nois éclipsés par l’his­toire domi­nante. En plus de pré­sen­ter son propre tra­vail, Autportrait (2017), il incor­pore des éléments de la vie et de la pra­ti­que artis­ti­que d’artis­tes et d’intel­lec­tuels chi­nois ayant vécu à Paris à dif­fé­ren­tes époques et inter­vient dans la chro­no­lo­gie conçue par Mia Yu ou dans les ins­tal­la­tions de Wang Zhibo et de Huang Jing Huan. Défiant les zones géné­ra­le­ment auto­no­mes du tra­vail indi­vi­duel et de l’artiste, tous les par­ti­ci­pants de l’expo­si­tion sont aussi bien les hôtes que les invi­tés de la contri­bu­tion de chacun. La recher­che et l’expo­si­tion for­ment un orches­tre poly­pho­ni­que qui ne fait pas seu­le­ment écho à la tra­jec­toire unique de Pan Yuliang entre la Chine tra­di­tion­nelle et moderne, mais qui situe également la bio­gra­phie que nous avons com­po­sée et son œuvre artis­ti­que au sein de motifs, de détours et du cosmos contem­po­rains. Après la pré­sen­ta­tion à la Villa Vassilieff, le voyage dérou­lera son second cha­pi­tre au Guangdong Times Museum où d’autres artis­tes sont invi­tés à rejoin­dre la conver­sa­tion, à poser de nou­velle ques­tions sur Pan Yuliang qui répon­dent à la situa­tion actuelle des femmes et des femmes artis­tes en Chine.

    Alors, que reste-t-il à raconter de Pan Yuliang dans cette pièce ?

    Nikita Yingqian Cai
    8 mars 2017

    Notes

    [1] Sophie Hardach, « Do You Know This Woman ? », 4 novembre 2014

    [2] Phyllis Teo, « Modernism and Orientalism : The Ambiguous Nudes of Chinese Artist Pan Yuliang », New Zealand Journal of Asian Studies, 12, 2 (décembre 2010), p.65-80

    [3] Anik Micheline Fournier, Building Nation and Self Through the Other : Two Exhibitions of Chinese Painting in Paris, 1933/1977 (Mémoire de recherche). Department of Art History and Communications, McGill University, Montréal, octobre 2004, p.60

    [4] Sarah Tower, « The Emperor’s Club », The New York Times, 23 mars 2008

    [5] Hrag Vartanian, « From Prostitute to Post-Impressionist : China’s Modern Art Ambassador », 30 avril 2008

    [6] Yang Yingshi, « From red lights to painting the town red », China Daily, May 31, 2002

    [7] Éric Lefebvre, « Ways to Modernity, Chinese Artists in Paris » dans Paris – Chinese Painting : Legacy of the 20th Century Chinese Masters, Honk-Kong Museum of Art,2014, p. 33

    [8] Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2009

    [9] ibid.

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