Bourse ADAGP & fonds Marc Vaux
L’ADAGP et la Villa Vassilieff, liées par des vocations communes – travailler au plus près des artistes et mettre en valeur le patrimoine visuel – s’associent pour créer un programme de bourses de recherche visant à développer le travail d’un·e artiste sur la circulation et la reproduction des images.
En lien avec un programme de recherche développé autour du fonds photographique de Marc Vaux conservé au Centre Pompidou, cette bourse de recherche a permis à des artistes d’entreprendre la production d’œuvres nouvelles dans un contexte favorable à la dissémination des savoirs. Ce programme est conçu comme une plateforme de recherche artistique dédiée à l’expérimentation de modèles non-linéaires de production et de distribution des savoirs entre chercheur·ses, artistes, tissu associatif, institutions culturelles et le public.
En 2021, ce programme est reconduit par Bétonsalon - centre d’art et de recherche et l’ADAGP pour une quatrième édition.
Lauréat 2017 : franck leibovici
Lauréate 2018 : Liv Schulman
Lauréate 2019 : Euridice Zaituna Kala
Recherche autour du fonds Marc Vaux / en collaboration avec le Centre Pompidou - Mnam CCI et la Bibliothèque Kandinsky
- Plaque de verre d’une photographie de Marc Vaux d’un plâtre de Juana Muller (vers 1936-1938) ©Centre Pompidou – Mnam – Bibliothèque Kandinsky – Fonds Marc Vaux Image : Ellie Armon Azoulay, 2015
A PROPOS DU FONDS MARC VAUX
La Villa Vassilieff mène une réflexion avec la Bibliothèque Kandinsky (musée national d’art moderne) pour inviter des chercheurs et des artistes à dialoguer avec le Fonds Marc Vaux, figure de Montparnasse, dont les 250 000 photographies de la collection du Centre Pompidou permettent de retracer la vie sociale des œuvres et des artistes, célèbres ou méconnus, qu’il a photographiés entre les années 1930 et 1970. En 2016, le Centre Pompidou entreprend la numérisation du Fonds Marc Vaux : un travail colossal, aux nombreux enjeux de conservation, de conditionnement, mais aussi d’historiographie, de muséographie et de classement. Comment appréhender ce fonds aujourd’hui, dans toute sa riche complexité ? Qu’est-ce qui, dans les images de Marc Vaux, regarde notre présent ?
Avec Didier Schulmann (conservateur au musée national d’art moderne et chef de service de la Bibliothèque Kandinsky), Catherine Tiraby (documentaliste des collections photographiques, Bibliothèque Kandinsky), Stéphanie Rivoire (conservatrice des archives, Bibliothèque Kandinsky) Pat Elifritz (étudiant en master, CCS Bard) et Ellie Armon Azoulay (chercheuse associée, Villa Vassilieff).
- Anonyme, Marc Vaux à la porte de son premier atelier, 23 avenue du Maine, Paris, 1919 © Centre Pompidou – Mnam – Bibliothèque Kandinsky – Fonds Marc Vaux
QUI ÉTAIT MARC VAUX ?
Par Ellie Armon Azoulay, Virginie Bobin et Didier Schulmann
La réponse à cette question varie à chaque visite du fonds, conservé au Centre Pompidou après la mort du photographe, survenue en 1971. C’est tout d’abord un spectaculaire empilement, parfaitement structuré, de milliers de boites de cartons des fabricants de plaques photographiques sur verre. Sur leur tranche ont été maladroitement tracées à la gouache, en lettres capitales, avec des fautes d’orthographe, les noms de famille de plus de 6000 artistes actifs à Paris entre le début des années 20 et la fin des années 60 dont Marc Vaux visita les ateliers et photographia les œuvres. Une sorte de mémorial, de mur des noms, de la création artistique à Paris pendant quarante ans. Le paysage archivistique que le Fonds Marc Vaux laisse alors deviner est d’une telle polyphonie qu’on s’interroge sur celui qui en a été l’auteur : quel projet encyclopédique a-t-il pu bâtir un tel atlas ?
Aux côtés de quelques noms d’artistes les plus connus du 20ème siècle, la plupart des autres noms, français et d’origine étrangère, suggère que sont conservées là les reproductions d’œuvres d’art dont les originaux ne sont pas accrochés aux cimaises des musées. Ces photographies constituent les sources d’une autre histoire de l’art, élargie à une communauté d’artistes beaucoup plus vaste que ne le laissent entrevoir les canons des institutions, du bon goût et du marché, euro-centrés, qui dominent encore les récits communément partagés. Mais au-delà des portraits d’artistes, des œuvres photographiées, des vues d’atelier ou d’expositions, le fonds témoigne des bouleversements à la fois artistiques et politiques dont Paris a été le théâtre, comme le déménagement des œuvres du Louvre en 1939, à l’approche de la guerre. Résistant, chroniqueur de la vie ouvrière, Marc Vaux s’est aussi engagé auprès des artistes en créant le Foyer des Artistes (1946-70) puis, en 1951, le premier Musée du Montparnasse au 10 rue de l’Arrivée.
Malgré la richesse de son fonds, Marc Vaux est resté un personnage secondaire de l’histoire de l’art, dont le rôle transparait à travers des mentions discrètes, comme dans cette lettre de Wifredo Lam qui souligne l’importance des photos de Vaux pour appréhender son travail et préparer ses expositions. Les archives de Marc Vaux témoignent pourtant d’une attention rigoureuse au document, à la préservation, à la mémoire, comme le révèle l’annotation “Ma première photographie” sur un tirage de 1913 ; ou un paysage de guerre marqué d’un point où, soldat, il fut blessé en 1915. Marc Vaux re-photographie régulièrement des images existantes, parfois prises par d’autres, à des fins de sauvegarde. Marc Vaux a laissé derrière lui 250 000 photographies : autant de promesses, de remémorations, de surprises à attendre de leur numérisation qui commence ces jours-ci, autant de lectures possibles où puiser les contre-points nécessaires aux grands récits des institutions.
BIOGRAPHIE - MARC VAUX
Né le 19 février 1895 à Crulai, Marc Vaux grandit dans sa Normandie natale où il devient menuiser-ébéniste. Lors de la Première Guerre Mondiale, il est mobilisé en décembre 1914 et une blessure au bras droit en octobre 1915 à Auberive, l’empêche de reprendre son métier [1]. Suite à cet accident, il rentre à l’École de rééducation professionnelle des mutilés de guerre ou il apprend la photographie [2] . Réformé et touchant une pension d’invalidité, il arrive à Paris en 1917 et s’installe au 23 avenue du Maine [3]. Muni d’un appareil de photographie à chambre qu’il gardera toute sa vie et encouragé par sa femme, il débute sa carrière de photographe en réalisant des portraits de soldats en permission – notamment des Américains débarquant à la gare Montparnasse – et de ses voisins de l’avenue du Maine.
Grâce à un marchand de couleurs chez qui il achète alors ses plaques et son matériel photographique, il rencontre le sculpteur Charles Desvergnes – prix de Rome et auteur de nombreux monuments aux morts – qui souhaite faire photographier ses œuvres. Les premières images faites par Marc Vaux de ses sculptures lui plaisent beaucoup ; il lui en commande de nombreuses autres et le recommande auprès de ses amis artistes. Deux des premières clientes de Marc Vaux sont ses voisines du 21 avenue du Maine, Marie Vassilieff et Maria Blanchard [4], qui l’introduisent auprès des artistes de l’avant-garde parisienne : Juan Gris, André Lhote, Jacques Lipchitz, Ortiz de Zarate, Jules Pascin, Chana Orloff … Outre les œuvres et les ateliers, Marc Vaux documente la vie de son quartier : les cafés, les bals, etc., mais photographie aussi de nombreuses expositions et salons comme le Salon des artistes français – dont il a l’exclusivité photographique –, le Salon des Indépendants, le Salon d’Automne ou encore le Salon des Tuileries.
En 1927, il déménage – son atelier de l’avenue du Maine n’était, en effet, pas relié à l’eau courante ce qui rendait le développement de ses tirages difficile – au 114bis de la rue Vaugirard dans une maison à colombages, ancienne dépendance de Madame de Maintenon, qu’il rénove et loue en partie à de nombreux artistes. En 1939, il est l’un des photographes chargés de réaliser un reportage sur le déménagement du Louvre. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il s’engage dans la Résistance : il loue en son nom une chambre où se cachèrent plusieurs résistants recherchés par la Gestapo [5] et assure, entre autres, le tirage et la diffusion clandestine d’une photographie du Général de Gaulle [6].
En 1946, sensible à la situation précaire des artistes dans l’après-guerre, il ouvre le Foyer d’Entre’Aide aux Artistes au 89 boulevard du Montparnasse. Outre une cantine permettant aux artistes de se nourrir, ce foyer leur permet d’exposer gratuitement. Pour récolter des fonds pour le faire fonctionner, Marc Vaux organise, presque tous les étés, la Nuit de Montparnasse à la Salle Huyghens durant laquelle a lieu l’élection du plus beau modèle. Mais dès 1963, l’avenir du foyer s’assombrit : Marc Vaux reçoit un premier arrêt d’expulsion où le propriétaire du local prétexte qu’une œuvre philanthropique déprécie la valeur locative et commerciale de son local [7]. Le procès dure sept ans et nombreuses personnalités publiques interviennent, y compris le Général de Gaulle qui prend le parti de la préfecture de Paris. Celle-ci propose au foyer, en 1968, d’être relogé au 107 rue Vercingétorix. Finalement, le 30 mai 1970, Marc Vaux prend la décision de quitter les locaux du boulevard Montparnasse et d’installer provisoirement le foyer dans sa propre maison.
Le 13 octobre 1951, Marc Vaux ouvre le Musée de Montparnasse, 10 rue de l’Arrivée [8] dans un ancien local de l’Académie du Montparnasse. Il y expose des toiles, dessins offerts par des artistes – Matisse, Picasso, Modigliani, Kisling, etc. –, mais aussi leurs lettres ou des documents devenus historiques – comme la facture de l’enterrement de Modigliani ou le testament de Pascin – et, bien sûr, ses photographies. Mais ce musée est éphémère et ferme au bout de quelques années, victime des projets d’aménagement du quartier.
Le 25 février 1971, Marc Vaux meurt d’un infarctus en pleine rue, ses archives sont vendues, après sa mort, au Centre Pompidou.
[1] Pierre Dufour, « 45 ans de Montparnasse dans les caves de Marc Vaux », Montparnasse, octobre 1963, n°30, p.2
[2] Catherine Tiraby, « Le fonds Marc Vaux » dans Laurent Le Bon (dir.) [Exposition, Centre Pompidou Metz]. Chefs-d’œuvre ? Metz, Editions du Centre Pompidou Metz, 2010, p.524
[3] Jean-Paul Crespelle, Montparnasse vivant, Paris, Librairie Hachette, 1962, op.cit., p.180
[4] Marc Vaux, propos rapportés dans Jean-Paul Crespelle, Montparnasse vivant, op.cit., p.182
[5] Attestation de Benn – Bençion Rabinowitcz – adressée à Marc Vaux, faite le 14 juin 1962. Archives du fond Marc Vaux, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
[6] Attestation de Pierre Bompard adressée à Marc Vaux, faite le 5 juin 1962. Archives du fond Marc Vaux, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
[7] Jean-Paul Crespelle, La vie quotidienne à Montparnasse à la Grand Epoque : 1905-1940, Paris, Hachette, 1976, p.92-93
[8] Carton d’invitation conservé dans les archives du fond Marc Vaux, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
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